Bienvenue dans un nouvel épisode du podcast (dans les) Vestiaires, où nous plongeons profondément dans les histoires des sportifs de haut niveau, révélant les défis, les triomphes et les moments d’inspiration qui façonnent leur voyage.
Mathilde Petriaux est gardienne de l’Equipe de France de Hockey sur Gazon 🏑. À 26 ans, avec un palmarès déjà chargé, Mathilde prépare aujourd’hui activement les Jeux Olympiques de Paris 2024. Mais Mathilde ne se contente pas que de stopper des balles sur le terrain. En dehors des matchs, elle est engagée dans la prévention contre le dopage et lutte contre les discriminations au sein de sa fédération. Avec des études en psychomotricité et en management, elle a su jongler entre les exigences sportives et académiques, tout en se projetant dans une future reconversion professionnelle.
Pour la suivre, la contacter et la soutenir, RDV sur https://petriaux.vestiaires.org .
En termes de palmarès, voici quelques infos :
- 3 championnats d’Europe juniors
- 5 championnats d’Europe sénior
- 1 coupe du monde junior
- et une nomination en tant que meilleure gardienne mondiale en 2019.
Dans cet épisode, vous pourrez découvrir (chapitres de l’épisode) :
- Découverte du sport et choix du hockey sur gazon
- L’équilibre sport-études et la vie de sportive de haut niveau
- De la passion au professionnalisme : les réalités économiques du sport féminin
- Les combats d’une sportive engagée
- Objectif Jeux Olympiques de Paris 2024
- La reconversion post-carrière sportive
- Conseils aux jeunes sportifs et aspirations futures
- Suivre Mathilde et conclusion de l’interview
La transcription de notre échange
Grâce à Autoscript, on vous propose même de revivre l’échange que j’ai pu avoir avec Mathilde. C’est parti !
Ermanno : Salut les sportifs, c’est Ermanno et je suis très heureux de vous recevoir dans le podcast Dans les Vestiaires. Aujourd’hui, on va parler avec une sportive de haut niveau et on va parler d’un sport plutôt d’équipe. On va échanger de tous ces éléments-là avec Mathilde Pétriaux. Salut Mathilde.
Mathilde : Salut.
Ermanno : Comment vas-tu aujourd’hui ?
Mathilde : Très bien, très bien. Un peu fatiguée, journée intense, mais tout va très bien.
Ermanno : Bon, tu vas pouvoir nous dire pourquoi est-ce que tes journées sont intenses. En tout cas, moi, je vois un beau sourire, la banane et ça, ça fait plaisir, ça donne envie d’avancer avec toi sur cette interview. Ce que je te propose avant de mettre vraiment les pieds dans le plat dans le sujet de ce podcast, c’est de te présenter. Donc, dis-nous tout. Qui est Mathilde Pétriaux ?
Mathilde : Du coup, je m’appelle Mathilde Pétriaux, j’ai 26 ans, je suis gardienne de l’équipe de France de hockey sur gazon, gardienne en équipe nationale depuis un peu plus de 10 ans et actuellement, je joue en club pour la Real Sociedad, donc en Championnat Espagnol. Je suis une sportive qui est pas mal engagée, qui participe à la prévention contre le dopage. Je suis une sportive qui fait partie du comité des athlètes du CNOSF, je fais également partie du plan de lutte contre les discriminations au sein de ma fédération, donc voilà, pour moi, c’est hyper important aujourd’hui en tant qu’athlète d’être engagée sur les conditions de vie des athlètes, mais aussi sur le développement des valeurs du sport et des valeurs de manière générale. En parallèle de ma carrière sportive, j’ai toujours fait des études et réussi à équilibrer l’environnement professionnel et sportif, on va dire. J’ai fait des études dans le paramédical, je suis psychomotricienne de formation. J’ai récemment également repris des études en management, en école de commerce, pour du coup plus m’orienter sur la partie gestion d’équipe, RH, avec un versant entreprise. Et voilà un petit peu pour la présentation plus ou moins brève. Aujourd’hui, je prépare les Jeux Olympiques de Paris 2024. En termes de palmarès, j’ai déjà participé à différentes Coupes d’Europe. J’ai fait huit Coupes d’Europe en équipe de France, une Coupe du monde junior. J’ai été nominée dans le top 5 des meilleures gardiennes mondiales en 2019. Et là, la grosse compétition. Du coup, avec les Jeux de Paris auxquels on est qualifié en collectif et du coup, grosse échéance à préparer sur les dix prochains mois.
Ermanno : Franchement, super présentation pour une jeune de 26 ans. J’ai l’impression que tu as déjà vécu trois vies. Il va falloir qu’on revienne dessus. J’aimerais savoir comment et quand tu as découvert le sport ?
Mathilde : Le sport, je l’ai découvert très jeune. Alors c’est drôle, c’est assez ambivalent. Mon père est très, très sportif. Ma mère, pas du tout. Ma mère, c’était l’élève qui se faisait faire des certificats médicaux pour ne pas aller faire de sport à l’école, carrément. Et mon père, il a été champion de France de judo. Il a fait du foot à haut niveau, du rugby à haut niveau. Enfin, vraiment opposé. Donc, j’ai les gènes de mon père, on va dire, et la motivation de mon papa. Concrètement, j’ai découvert le sport du coup très tôt. J’ai fait plein de sports avant de commencer le hockey sur gazon. J’ai fait du foot, j’ai fait du tennis, j’ai fait du basket, de la danse. Et je ne trouvais pas un sport qui me plaisait. Et c’est un jour, mon frère qui s’est mis au hockey sur gazon. Et moi, j’ai découvert comme ça le hockey. Mais j’ai toujours été mordue de sport. Ça, c’est clair. Très active. J’ai toujours voulu et eu besoin, je pense, de me dépenser et d’aller extérioriser tout ça. Donc, j’ai découvert le sport très jeune. Le hockey, finalement, assez tard parce que j’ai commencé à 11 ans. Mais du coup, à 13 ans, je suis partie en sport études. Et à 14 ans, j’étais sportive de haut niveau déjà et en équipe de France.
Ermanno : C’est bien ce que je disais tout à l’heure. C’est qu’on a l’impression que tu as déjà vécu 2, 3, 4, 5 vies. Tu as 26 ans et tu nous dis “quand j’étais jeune”. Alors, tu n’as même pas découvert le sport, en fait. Tu as baigné dedans avec cette dichotomie entre papa très sportif et maman pas du tout. Ce serait intéressant, justement, de savoir comment est-ce qu’on vit en tant qu’enfant dans une famille où ces deux choses se confrontent. Est-ce que maman laissait papa pratiquer et du coup, les enfants aussi ? Est-ce que maman était plutôt sur la retenue ? Est-ce que maman ne comprenait pas votre intérêt pour le sport ? Comment ça se passait quand vous étiez enfant ?
Mathilde : Alors, moi, quand j’étais petite, c’était tout le temps ma mère qui m’emmenait au sport. Ma mère qui venir me soutenir et voir mes matchs. C’est ça qui est assez drôle. Alors, c’est de la non-sportive, entre guillemets. Bon, c’est un schéma d’éducation que mes parents ont choisi. Mais mes parents, quand on était jeunes, ils voulaient qu’on fasse une activité sportive et une activité culturelle. Donc, en gros, on devait faire de la musique ou de l’art ou ce que tu voulais. Et à côté, un sport. Donc, tous les ans, on choisissait en gros le sport qu’on allait faire. Et ma mère, elle adaptait son emploi du temps pro pour nous emmener aux entraînements, etc. Et moi, il faut savoir que le hockey, ça me prenait quasiment tous les soirs, le week-end, les déplacements. Enfin, voilà, c’était assez lourd. Il faut savoir qu’en plus, j’ai deux frères et qu’ils ne faisaient pas de hockey. Donc, il y en avait un qui allait faire du tennis, l’autre du hand. Enfin, ça tournait. Et donc, ma mère, c’était un taxi. Et elle nous déposait au sport. Vraiment, elle n’arrêtait pas. Mais un vrai soutien. Et mes parents m’ont toujours encouragée là-dedans. Enfin, je pense qu’ils ont conscience que tu t’épanouis vraiment en tant que personne et tu découvres plein de choses et plein de valeurs à travers le sport. Et ils m’ont toujours encouragée à faire du sport. Moi, le sport, ça a toujours été un environnement dans lequel je me sentais bien et en sécurité, où je pouvais m’exprimer. Donc, ils ont été facilitateurs de ça. Et concrètement, quand j’ai eu l’occasion de partir en sport-études à 13 ans, ils m’ont encouragée. Alors que je pense qu’il y a des parents aujourd’hui qui seraient un peu réticents à laisser partir leur jeune pour l’année au lycée, tout seul, à 300 bornes, en internat. Et ils ne m’ont pas poussée à le faire, mais ils m’ont encouragée. Ils m’ont soutenue tout de suite.
Ermanno : Là aussi, ça résonne. Je voulais faire sport-études quand j’avais 16 ans, en triathlon. Et c’est ma mère qui a dit, “non”, “niète”, tu ne pars pas de la maison. Donc, tu ne peux pas savoir à quel point je t’envie, Mathilde ! Tu découvres le hockey à 11 ans. À 13 ans, tu pars en sport-études. On l’aura compris, tu pars de la maison pour faire du sport-études. C’était quoi le format ?
Mathilde : Le format a été progressif. La première année, j’étais encore licenciée dans mon club en Normandie. Donc, mes parents étaient rassurés de savoir que j’étais à l’internat la semaine. Mais le week-end, je revenais en club en Normandie chez mes parents. Sauf que c’était épuisant. Le vendredi soir, je prenais le train à 17h. J’arrivais à 22h à la maison. Samedi, j’étais chez mes parents. Dimanche, je jouais un match et je repartais. C’était très sportif, trop fatigant pour moi. Et du coup, les années suivantes, je me suis inscrite dans un club dans le nord de la France, à côté de l’internat. Et du coup, après, je ne rentrais que pour les vacances scolaires. Donc, un peu plus dur niveau rythme. Mais ça s’est fait progressivement.
Ermanno : Tu as été sportive de haut niveau à 14 ans. Finalement, ça veut dire quoi, à 14 ans, être sportive de haut niveau ?
Mathilde : La définition du sportif de haut niveau, c’est quand tu es inscrit sur Liste Ministérielle. C’est quand tu es en équipe de France, plus ou moins. Quand je dis que je suis sportive de haut niveau, c’est en gros que tu dévoues ton temps à ton sport. Et tu as des ambitions affichées. Et forcément, tu atteins des niveaux assez importants au niveau national et international. Comme conséquence et comme influence sur mon environnement, après, tout était aménagé. Moi, c’était parfait. J’étais en sport études. Donc forcément, je m’entraînais 20h par semaine. Mais j’avais 20h de cours. Donc tout était un peu très structuré, même, pour que je puisse performer. Il y avait une réelle importance à performer à l’entraînement, en club, en équipe de France, mais performer aussi à l’école. Donc j’étais pas mal encadrée par rapport à ça. Et de toute façon, c’était un peu le deal aussi avec mes parents. Ils m’ont laissé partir, mais ils m’ont dit, “il faut que les résultats scolaires, ça suive, sinon, c’est niet, tu rentres !”. Pour bien faire les choses, je me suis investie. Après, l’avantage, c’est que je n’avais pas de difficultés scolaires non plus. Donc ça a été pas trop difficile pour moi de suivre le rythme. Il y a des sportifs qui n’ont pas tenu, parce que forcément, le soir, tu as envie de dormir. Tu n’as pas envie de faire tes devoirs, tu es crevé. Après, tes quatre heures d’entraînement de la journée et tes sept heures de cours, mais tu fais avec.
Ermanno : Parce que déjà, 14 ans, sportive de niveau, ça veut dire quatre heures d’entraînement par jour, en plus des cours dans la journée. Vous n’aviez pas un emploi du temps un peu adapté ? C’est-à-dire cours le matin, entraînement l’après-midi, éventuellement séance de devoirs ou d’études dirigées dans la soirée ?
Mathilde : Si, c’était ça. C’était plus ou moins structuré, comme tu viens de le dire. Donc concrètement, l’emploi du temps typique, c’était on se réveillait le matin à 7 heures, on allait au petit-déj à 7 h 30, on avait cours sur place à l’internat de 8 h à 10 h, puis on s’entraînait de 10 h 30 à midi. Ensuite, on allait manger en vitesse, on se douchait et on partait au lycée l’après-midi de 14 à 17. On rentrait et on s’entraînait le soir de 18 à 20. On mangeait et on allait en études obligatoires de 21 h à 22 h. À 22 h, il y avait le pointage, on devait être dans nos lits et dormir. Donc c’était ça, en fait. C’était des boucles, on répétait ça quasiment tous les jours. Le mercredi, c’était plus light parce qu’on avait seulement cours le matin et l’après-midi, on faisait des récup, des séances de muscu, mais c’était moins intense. Et le vendredi soir, on partait en club pour s’entraîner avec notre club. Mais ouais, c’était très intense et très encadré, finalement. L’emploi du temps un peu militaire, comme je le disais, où tu n’as pas trop le temps de penser et de te dire “est-ce que je suis fatiguée ? Je ne suis pas fatiguée”. Mais en fait, non, tu y vas. Et ce qui est assez drôle, du coup, c’est que les vacances scolaires, je rentrais chez mes parents, j’avais deux semaines à chaque fois. La première semaine, ma mère, elle disait tout le temps, j’hibernais. Mais en fait, je récupérais tout le sommeil. Tout le sommeil que j’avais perdu pendant 5 à 6 semaines en cours et à l’internat. Et vraiment, j’hibernais, c’est-à-dire que je me couchais à 10h le soir, je me réveillais le lendemain à 14h. Et je faisais ça pendant une semaine parce qu’il me manquait du sommeil, j’étais épuisée, c’était un rythme effréné. Et c’est là que j’ai compris l’importance du sommeil dans ta récupération en tant que sportif, qui est pour moi un des trois points clés pour réussir à être bien.
Ermanno : Ton sport-études, c’était un sport-études spécialisé pour les joueurs et les joueuses de hockey sur gazon, voire de hockey, ou c’était tout sport confondu ?
Mathilde : Alors, j’étais dans ce qui s’appelle un CREPS. Alors, si je ne dis pas de bêtises, l’acronyme, c’est Centre Régional d’Éducation Physique et Sportive. C’est une structure où, en fait, tu as un internat et après, tu as différentes disciplines en fonction des pôles. Donc, on appelle ça des pôles, c’est des sports qui sont représentés. Donc, moi, au CREPS de Watigny, donc au sud de Lille, il y avait plein de sports représentés. Il y avait l’esscrime, la lutte, le volley, le basket, l’athlétisme, le tennis de table et le hockey, du coup. On était pas mal de sports. Pas mal de différents sportifs à vivre ensemble. Ça crée des alchimies, ça crée des confrontations aussi. C’est assez particulier. Pas que spécialisé hockey. Après, des sports études, il n’y en a pas beaucoup. Les sports études au hockey en France, féminin, le pôle espoir de France, du coup, il est à Lille. Donc, il y en a différents. Mais à l’époque, moi, il n’y en avait qu’un pour les filles et c’était à Lille. Et un pour les mecs, c’était à Paris.
Ermanno : Bon, écoute, on reprend l’enregistrement. Après avoir connu quelques péripéties, on s’était arrêté à toi, ta vie de sportive de haut niveau. Quand est-ce qu’elle a commencé ? Plutôt, quand est-ce que tu as commencé le sport ? Tu m’expliquais que tu vivais dans une famille assez paradoxale, puisque papa extrêmement sportif, maman plutôt adepte des certificats médicaux pour être dispensée. Donc, je te laisse un petit peu continuer. Comment est-ce qu’on va faire ? Comment est-ce qu’on vit quand on découvre le sport assez jeune, dans une famille tiraillée, comme ça, avec malgré tout, maman qui fait le taxi et qui ramène les frères et sœurs à l’entraînement ?
Mathilde : Finalement, ça n’a jamais été tiraillant comme situation, je dirais. C’était à l’inverse. Ma maman qui m’accompagnait tout le temps au sport et qui était tout le temps là pour me soutenir, plus présente que mon papa qui, lui, était souvent en déplacement ou au boulot. Donc, de ce côté-là, il n’y a pas eu de… Enfin, je n’ai jamais senti de frein à m’investir à 3000% dans le sport. Mes frères non plus, je pense. Pour le coup, ça a toujours été un truc. Mes parents se sont pliés en quatre pour qu’on puisse faire le sport qu’on veuille faire, pour qu’on puisse pratiquer autant qu’on voulait pratiquer. Et donc, il y avait une vraie liberté d’expression là-dedans. Donc, je me suis même… Mes parents m’ont toujours encouragée et soutenue dans mes projets et dans tout ce que je voulais faire. Donc, vraiment… Certes, en termes de patrimoine, on va dire, et eux, leur manière de fonctionner, ils auraient pu me transmettre autre chose, surtout ma maman, mais en fait, pas du tout. Pas du tout. Et du coup, j’ai eu la chance d’être bien soutenue.
Ermanno : Oui, disons que ça t’a permis aussi peut-être de garder les pieds sur terre plutôt que d’avoir deux modèles super à fond dans le sport et qui te font un petit peu décoller, qui te permettent de te projeter dans quelque chose. Là, tu avais papa qui te faisait décoller au niveau sportif, maman qui te faisait garder les pieds sur terre et puis ça t’a permis de te construire là-dessus.
Mathilde : Oui, j’ai toujours eu… Après, j’ai toujours eu cet équilibre. Moi, le deal chez mes parents, ça a toujours été tu fais ce que tu veux tant que tu as des bons résultats scolaires. On avait la chance, ma maman était enseignante. Donc, du coup – et elle est toujours enseignante pour une partie de son activité – et en fait, mine de rien, avoir des parents enseignants, ça t’aide quand même pour tout ce qui est devoir, pour tout ce qui est organisation. Et donc, j’ai jamais eu trop de difficultés au niveau scolaire. Et donc, c’est vrai que finalement, j’avais cette liberté de pouvoir faire autant de sport que je voulais. En termes d’équilibre, néanmoins, tu vois, je te le disais, moi, mes parents, ils avaient à cœur que je fasse une activité sportive et une activité, on va dire, intellectuelle. Enfin, que ce soit… J’ai fait, par exemple, 8 ans de guitare en conservatoire, donc cours de solfège, la totale. Mais j’aimais aussi beaucoup peindre. Donc, à la maison, j’aimais bien me poser aussi dans des temps calmes et faire de la peinture. La peinture avec les numéros. Je sais pas si tu connais, tu sais, t’achètes des grands tableaux et tu dois peindre dans les numéros. Ça, ça m’apaisait énormément. Et j’ai toujours réussi à trouver cet équilibre entre grosse activité sportive quand je suis sur le terrain et en déplacement et en même temps, savoir me ressourcer et être posée quand j’étais chez moi. Encore aujourd’hui, je fonctionne beaucoup comme ça.
Ermanno : Bon, un peu hyperactive quand même, légèrement sur les bords.
Mathilde : Une certaine hyperactivité, mais qui sait se canaliser, tu vois. Je sais aussi être calme. J’aime bien avoir cette image quand je m’imagine de l’extérieur, être un peu la force tranquille, tu vois. C’est-à-dire, je suis très calme quand je peux être très calme. Par contre, quand je démarre, en effet, il faut savoir me suivre, quoi.
Ermanno : Alors, pour l’instant, tu es la première sportive, sport d’équipe qu’on reçoit sur le podcast. Comment est-ce que tu gères, finalement, les individualités quand tu es dans un sport d’équipe ? Parce que tu prends un athlète, tu prends un nageur, tu prends un triathlète. Il a soit un coach personnel, soit un coach pour l’équipe. Et c’est finalement assez facile à encadrer. Que tu aies le coach qui doit être près du terrain d’entraînement ou pas, il donne les instructions et on y va. Dans un sport d’équipe, au-delà de l’entraînement personnel de la sportive ou du sportif, il y a aussi toute la cohésion de groupe, toute la cohésion d’équipe. Donc, comment est-ce qu’on gère ça ? Déjà, quand on est jeune. Et puis, après, quand on évolue aussi.
Mathilde : Moi, j’ai un poste assez particulier, en plus, sport collectif, étant gardienne. Forcément, c’est un peu différent au niveau vie de groupe, la relation que j’ai avec les joueuses. Forcément, on s’entraîne tout le temps ensemble, on vit ensemble. Aujourd’hui, en équipe de France, on est tout le temps ensemble. Ça crée des liens, ça crée des tensions. C’est comme une vie de couple. On vit des choses tellement intenses que parfois, ça pète. Mais parfois, ça crée des liens et des connexions incroyables. Donc, ça, c’est la particularité. Après, comme tu l’as dit, on a nos individualités, on a nos spécificités. Tout le monde ne fonctionne pas de la même manière. C’est savoir s’adapter aux autres, c’est savoir décrypter les émotions, c’est savoir être à l’écoute, être empathique, être disponible. Donc, c’est plein de choses, un bel arc-en-ciel, plein de couleurs différentes. Et c’est ce qui fait la beauté d’un sport collectif. Je pense que c’est aussi de voir la mixité et la diversité des profils et des personnes. Et c’est trouver sa place en tant qu’individu pour savoir s’exprimer individuellement, mais pour le collectif. Donc, ce qui est cool, c’est que même si on a des modes de fonctionnement hyper différents, il y en a qui vont se préparer d’une manière, d’autres, d’une autre manière. On sait qu’on va toutes dans la même direction et c’est ça qui est incroyable. C’est de savoir qu’on a tous le même objectif et qu’on a nos objectifs individuels, bien évidemment, mais une ambition collective et qu’on est porté par ça. Donc, après, il y a des choses qui fédèrent. On en chie tous ensemble à l’entraînement et ça, ça fédère énormément. C’est ce qui est incroyable dans un sport collectif, finalement, c’est que tu arrives à créer des émulsions de groupes avec ce sentiment d’appartenance aussi qui n’est pas toujours, je pense, très porté dans les entreprises. Par exemple, dans un sport, on a le même maillot. Et en fait, mouiller pour le maillot, souffrir pour le maillot, c’est véridique, c’est vraiment ça. Et c’est ce qui fait une des forces et un truc incroyable dans le sport co.
Ermanno : Et encore plus en tant que gardienne de hockey parce que quand on connaît le poids de l’équipement que vous portez, le moindre déplacement te fait bien suer, bien mouiller le maillot et pas que le maillot, je pense, non ?
Mathilde : Ce n’est pas si lourd. On pourrait penser de l’extérieur, mais sincèrement, les technologies évoluent et ce n’est vraiment pas très lourd. Je ne porte pas de 10 kilos sur moi quand je mets mon équipement. Ergonomiquement parlant, c’est assez particulier et ça prend de la place. Mais il faut apprendre juste à bouger avec. Mais ce n’est pas si lourd.
Ermanno : Je reviens justement sur le fait que tu sois gardienne de l’équipe de France de hockey sur gazon. Tu as toujours voulu être gardienne ou au début, tu as évolué un petit peu sur d’autres postes ?
Mathilde : J’ai découvert le poste de gardienne assez tard quand j’ai commencé le hockey. Quand j’ai joué au foot, je n’étais pas gardienne. Je n’avais pas cet intérêt pour le but et la cage. Néanmoins, quand j’ai découvert le poste, ça a tout de suite matché. C’était le truc qui m’animait. J’ai trouvé que j’avais un rôle différent, une importance au sein du collectif qui me plaisait, une notion de responsabilité. En plus, je n’aimais pas trop le fond, l’endurance. Et finalement, là, j’étais sur un poste qui était beaucoup plus tonique où tu étais un peu absent dans ton monde. Mais en même temps, il fallait répondre présent pour le collectif et j’aimais beaucoup cette notion-là.
Ermanno : Bon, on y reviendra parce qu’on le rappelle, tu es gardienne de l’équipe de France de hockey sur gazon. L’image que j’ai, moi, du gardien dans les sports où il y a des gardiens, donc c’est hockey sur gazon, hockey sur glace, football, handball, c’est pas forcément la personne la plus active pendant tout le match. Alors oui, il y a des phases d’activité, notamment quand le ballon, la balle, le palais arrivent. Mais en dehors de ça, pendant le reste du match, vous êtes pas mal en contemplation, enfin, pas tellement en contemplation, mais en observation de la partie. Est-ce que je me trompe ou pas du tout ?
Mathilde : Non. Tu vois plutôt bien et tu comprends plutôt bien ce que c’est que le poste de gardien, j’ai l’impression. C’est vrai que t’as une vraie… Enfin, c’est pas… C’est pas, comment dire… C’est pas facile à expliquer, mais tout est pas tout le temps sur le même rythme. Il y a une vraie différence d’intensité, en effet, entre le moment où tu vas arrêter la balle ou la balle va rentrer dans le cercle même où il va falloir que tu sois 100% focus et quand la balle est très, très loin où, justement, il va falloir que tu rebaisses niveau attention. C’est impossible, de toute façon, d’être 100% attentif pendant la période d’un match qui est souvent d’une heure. Donc, l’idée, c’est justement de savoir jouer sur les tendances, de savoir relâcher 100% la pression quand la balle est très loin, te remobiliser tout doucement quand la balle arrive de ton côté du terrain dans les 50 et quand la balle est dans les 22 et dans la zone, être 3000% prête à arrêter la balle. Donc, il faut savoir travailler là-dessus. Après, le gardien est quand même très proactif dans le jeu, de manière générale. C’est quand même quelqu’un qui va énormément communiquer avec sa défense, qui va aider à structurer d’un point de vue offensif aussi le jeu. Bien évidemment, tu restes actif, on va dire, en termes de communication constamment durant le match. Après, c’est vrai qu’en termes d’activité musculaire et même d’éveil et de réactivité, ça, c’est quelque chose que tu arrives à travailler et à faire évoluer.
Ermanno : Je n’ose même pas imaginer les shoots d’adrénaline que tu prends pendant une partie. Alors, forcément, ça augmente beaucoup plus quand la balle, le palais ou autre arrive près de toi et que tu n’as pas le temps et que tu sais que là, tu vas avoir ton rôle à jouer, ton rôle, ton but. Enfin, justement, ne pas laisser rentrer le but. Mais comme tu dis, le reste du temps quand la balle n’est pas dans ta zone, tu dois être un petit peu plus détendue. Ça me rappelle quand même vachement le podcast. Moi, je suis en écoute hyper active pendant tout l’enregistrement et tu l’auras peut-être remarqué, les auditeurs l’auront peut-être remarqué aussi. Quand c’est à mon tour de parler, des fois, je bafouille un peu, je cherche mes mots parce qu’en fait, c’est là où je relâche un peu la pression. C’est là où la balle repart de l’autre côté du terrain. On va revenir un petit peu là-dessus. J’aimerais rester sur toi et sur ta carrière sportive. Comment est-ce que tu as finalement construit cette carrière sportive ? Donc, à partir de 10 ans, si je ne m’abuse, tu rentres déjà dans une structure. À partir de 13, tu es sportive de haut niveau. Qu’est-ce qui se passe en fait entre la découverte, le moment où tu deviens sportive de haut niveau, le moment où tu rentres dans une structure ? Qu’est-ce que ça veut dire aussi au niveau organisation familiale, au niveau logistique, au niveau de rester à la maison ou partir, intégrer un sport d’études ? Raconte-moi un petit peu tout ça. Il y a beaucoup de questions. C’est ma spécialité en général. Mais c’est pour te laisser piocher dedans.
Mathilde : J’ai compris. C’est clair que de toute façon, quand tu es sportive de haut niveau, il faut être énormément organisé. Je pense que c’est la discipline et la structuration, le projet et tout ce que tu mets en place dans ta carrière, ça fait la force de ton projet et ça va construire énormément de choses. Et tu as apporté énormément de choses. Ce qui est drôle, c’est que c’est un peu l’œuf ou la poule d’abord, mais c’est comprendre… Moi, je suis quelqu’un qui est très organisée, qui a vraiment besoin de parfois tout maîtriser, être un peu dans l’hyper contrôle. Je suis beaucoup dans la projection, dans l’anticipation, réfléchir à tout ce qui peut se passer. La question étant de savoir est-ce que je suis comme ça de nature et c’est ce qui m’a amenée à être sportive de haut niveau ou l’inverse, je ne sais pas. Mais ce qui est sûr, c’est que quand je suis partie il y a 13 ans, en effet, il a fallu être très organisée niveau rigueur. De toute façon, les journées étaient chronométrées. C’était tu vas en cours, tu vas au sport, tu reviens, tu te douches, tu repars en cours, tu repars au sport, tu fais une heure d’études et tu vas te coucher. C’était très militaire comme organisation, le sport-études. Et derrière, j’ai un peu gardé ce rythme-là, on va dire. C’est quelque chose qui me drivait bien, qui me permettait à chaque fois de me dépasser, de me fixer de nouveaux objectifs et c’est quelque chose qui me convenait bien niveau mood, on va dire. En effet, c’est assez particulier comme rythme. Il faut savoir, je pense, se fixer des objectifs et être rigoureux. Pour moi, c’est hyper important. Après, c’est des choses toutes bêtes, mais je reviens un peu sur l’histoire de l’aspect militaire. Pour moi, être à l’heure, c’est quelque chose d’essentiel, c’est quelque chose d’hyper important. Même ne serait-ce que d’être engagée. Quand tu t’engages sur quelque chose, dire “je vais y être, je vais le faire” … le faire, c’est une évidence pour moi et c’est des choses qui font partie de, pour moi, une sorte de rigueur, une sorte de discipline que tu dois t’auto-infliger, c’est un grand mot, mais que tu dois t’imposer en tant que sportif, que tu dois t’imposer.
Ermanno : Oui, je comprends bien. On parlait justement, on off tout à l’heure de nos problèmes de connexion Internet. On a été obligé de reporter notre enregistrement. Ça avait l’air de te rendre folle et moi aussi, ça m’a rendu fou, notamment quand l’Internet, cette fois-ci, de mon côté a planté et qu’on a dû redécaler l’enregistrement. Donc non, franchement, je peux tout à fait comprendre. Pour la petite anecdote sur l’histoire de l’œuf et de la poule, est-ce que tu es organisée parce que tu es sportive de haut niveau ou est-ce que tu as pu être sportive de haut niveau parce que tu es organisée, moi, j’ai des problèmes de vue et j’ai été suivi par un grand ponte à l’hôpital américain à Paris et un jour, le premier rendez-vous, je suis arrivé avec mon dossier bien carré, bien complet. Le médecin m’a dit je ne regarde pas, je vous pose d’abord des questions, je vous ausculte et puis on verra après. Donc il fait son taf de médecin et puis après, on se pose à son bureau et il me dit c’est marrant, j’ai remarqué que les gens qui avaient le même genre de problème que vous, souvent, ils viennent avec des dossiers bien propres, bien structurés. Alors, est-ce que vous avez des problèmes de vue et c’est un trait de votre caractère d’être organisé ou est-ce que vous êtes organisé par la force des choses parce que vous avez des problèmes de vue ? Enfin bref, voilà. Encore une fois, on reboucle sur qui de l’œuf ou de la poule a commencé à donner la dynamique. Dans cette dynamique, toi, donc à 13 ans, tu intègres Sport Etudes. Sport Etudes, près de chez tes parents ou ça veut dire partir à l’internat et puis commencer déjà entre guillemets à voler tes propres ailes ?
Mathilde : Non, le Sport Etudes, pour moi, il était loin de chez mes parents. Enfin loin, c’est un grand mot. J’étais à 300 kilomètres. Mes parents sont en Normandie et je suis partie à Lille. J’ai fait le… Quand je suis partie, je suis partie quand même de manière, on va dire, assez progressive. La première année, j’étais encore licenciée dans mon club. Donc, tous les week-ends, je rentrais chez mes parents en Normandie mais c’était trop de fatigue, trop, trop compliqué. Je partais après le lycée et j’arrivais le vendredi très tard et finalement, c’était pour rester le samedi toute la journée. Le dimanche, je vais en club et repartir. Donc, c’était trop, trop lourd niveau fatigue. Donc, j’ai fait ça un an et après, je me suis licenciée dans un club du Nord. Donc, ça a sous-entendu pas mal de distance, forcément. Je rentrais chez mes parents que pour les vacances scolaires et encore parce qu’au bout d’un moment, t’es en équipe de France donc les vacances scolaires, t’as stage équipe de France. Donc, c’est vrai que j’ai appris à vivre sans mes parents, clairement. J’ai toujours… On me dit souvent que je suis plus mature que mon âge. On me le disait du moins quand j’étais assez jeune. Maintenant, je commence à être un peu vieille, entre guillemets, même si je ne le suis pas tant. Mais moi, je dis toujours que j’avais la vie d’une jeune fille de 18 ans quand j’en avais 13, tu vois. Que je suis partie chez mes parents et que j’étais indépendante comme si j’étais étudiante alors qu’en fait, j’avais 13 ans. Donc, finalement, c’est pas que j’ai tout fait plus tôt mais j’ai appris à faire des choses que des gens font quand ils ont 18, 19 ans et qu’ils partent de chez leurs parents pour faire leurs études sup. Moi, je suis partie à 13 ans et il fallait que je me débrouille pour faire mes lessives le week-end. Il fallait que j’aille faire mes courses. Il fallait que… Enfin, voilà, je vivais seule, indépendante, alors que j’étais loin d’être majeure, quoi.
Ermanno : Oui. Et malgré tout, t’avais la chance d’être… “chance”, entre guillemets, d’être dans un sport-études, donc d’être quand même encadrée, d’être prise sous l’aile d’un staff, d’une équipe. Et ça, c’est aussi quelque chose, j’imagine, que tu as apprécié quand il a fallu bouger. C’est OK, le côté études, ça, c’était aussi la demande, l’exigence des parents, mais aussi le côté sportif avec tout le staff qui va avec. Donc, pas uniquement la possibilité de s’entraîner, mais les entraîneurs, les préparateurs physiques, les kinés, les physios. Je ne sais pas si vous aviez déjà de la prépa mentale. Est-ce que tu te souviens un petit peu de tout le staff qui gravitait autour de toi et qu’est-ce que ça impliquait dans cette organisation très militaire ?
Mathilde : Oui, j’étais clairement bien entourée. C’est-à-dire que c’étais aussi un des souhaits de mes parents que je le sois. Concrètement, dans l’environnement sportif, bien évidemment, il y avait le coach du CREPS. Il y avait mon coach de club aussi, mes coachs de club. J’avais de la kiné et une unité médicale, donc avec, en effet, préparateur mental qui me suivait pendant mon année, pendant mon sport études. On avait aussi des conseillers de séjour, des sortes de surveillants qui nous accompagnaient dans nos devoirs le soir si on en avait besoin. On avait une référente pédagogique qui s’occupait de vérifier que tout allait bien entre le sport et les études. Moi, cet équilibre, je me suis toujours sentie très accompagnée, très épaulée. Je me suis rarement sentie seule. En plus de ça, je fais un sport co, donc il y a une vraie dimension familiale dans les clubs. Et quand je suis partie de chez mes parents pour aller dans un club du Nord, j’ai intégré un club où mes parents avaient 100% confiance parce qu’ils savaient qu’il y avait des jeunes filles qui avaient mon âge, mais que leurs parents étaient là aussi. Donc, il était fréquent que le week-end, j’aille chez des filles de mon équipe et qu’en fait, je vive un peu dans un cocon familial, ce qui me faisait du bien parce que la semaine, t’es tout seule, t’es à l’internat, c’est très rigide, tu sors pas, la bouffe à la cantine, c’est pas super bon. Et être chez des filles de l’équipe dans un environnement familial, c’était hyper sain, hyper agréable. Mais je me suis toujours… J’ai été très entourée. Ça a rassuré mes parents de savoir que j’étais entourée scolairement, sportivement, humainement, familialement aussi dans ce nouveau club. Donc, finalement, j’ai jamais été trop seule. Après, je pense que mon… Malgré ça, t’apprends à te débrouiller. C’est ce que je disais juste avant. T’es entourée, etc., mais t’es quand même livrée à toi-même. Donc, tu développes une certaine autonomie, des choses, des compétences, hyper bien, d’ailleurs, qui t’apportent énormément, je pense, dans ta vie. Mais c’est clair que c’est pas… Il y a des moments où t’es très entourée, mais tu peux quand même te sentir très seule, je pense. Après, en plus, moi, je fais un sport, un poste assez particulier. Je suis gardienne, donc les entraînements, parfois, je suis amenée à parler avec personne. Les filles, elles se regroupent ensemble, elles vont élaborer des tactiques pour mettre un but. Elles, leur objectif, c’est de mettre un but. Moi, mon objectif, c’est d’arrêter les balles. Donc, en fait, je suis toute seule contre elles. Donc, à l’entraînement, je suis toute seule. Donc ça, c’est très particulier aussi. Et c’est vrai qu’il y avait vraiment cette un peu… Enfin, une forme d’ambivalence, en fait, où à la fois, j’étais très bien entourée et je me suis aussi sentie très, très seule sur des moments. Il y a eu des moments pas faciles pendant l’internat. Il y a eu des moments en termes de santé mentale où je n’allais pas bien, où je ne voulais plus qu’on me parle de hockey. C’était trop. Il y a un moment où je n’ai pas bien vécu les choses. Après, ça m’a forgée, ça m’a appris plein de choses et j’en suis ressortie plus forte.
Ermanno : Oui, j’imagine. Il y a une question que je pose de plus en plus aux sportifs et aux sportives de sport collectif parce que j’ai plutôt l’habitude d’échanger avec des sportives et des sportifs individuels. Comment est-ce qu’on fait son trou ? Comment est-ce qu’on fait sa place ? Comment est-ce que ça se passe dans un sport collectif ? Parce que sur un sport individuel, c’est assez facile. Si on prend l’exemple de l’athlétisme, il y a des minima, il y a des résultats à faire. Tu es champion de France, champion d’Europe, champion du Monde. Youpi, tu es le meilleur. Tu es sollicité. Tu fais ta vie. Quand tu es en sport collectif, c’est un ensemble, c’est un collectif. Comment est-ce qu’on sort son épingle du jeu ?
Mathilde : C’est vrai que c’est très particulier dans un sport collectif. Peut-être moins dans le poste de gardien que dans d’autres postes, mais typiquement, tu peux être un excellent joueur et ne pas être sélectionné dans un groupe parce qu’humainement parlant, ça se passe mal avec le groupe. Parce que sportivement parlant, il y a parfois des connexions qui ne se créent pas. Et deux joueuses qui ont un niveau moyen/plus peuvent bien jouer ensemble alors que deux joueuses qui ont des niveaux différents ou même techniquement n’arrivent pas à s’accorder, ne jouent pas bien l’ensemble. Et donc, parfois, il y a des sélections qui sont faites là-dessus. Donc oui, de toute façon, pour être dans un sport collectif, être performant dans un sport collectif, il faut soi-même individuellement être performant, mais aussi, être performant au service du collectif et être en accord avec le collectif. Tu peux faire des très bons matchs. Moi, je l’ai vécu à des périodes aussi en tant que gardienne sur des systèmes de jeu où ça me correspondait moins en style de jeu. Tu peux être très performante dans une équipe, en équipe de France, par exemple, et faire une mauvaise saison en club à côté parce que le système ne convient pas à ton style de jeu en club. Ou inversement, tu peux très bien te sentir en club et avoir des moments où tu sens un décalage avec l’équipe de France et donc ne pas réussir à être au meilleur de ta forme en équipe de France. Donc, il faut savoir être bien, se préparer individuellement, mais savoir aussi s’accorder avec le collectif, tant humainement que sportivement. Parfois, ce n’est pas facile. Ça dépend des personnalités, en plus, parce que tu as des personnes qui sont hyper extraverties, qui ont besoin de prendre de la place au sein d’un groupe, qui ont besoin de familiariser énormément. D’autres personnes qui sont plus introverties, qui ont besoin, quand elles sont dans des moments off, d’être toutes seules dans leur chambre. Il y a des gens qui ne comprennent pas dans la vie de groupe que parfois, tu ne peux pas ne pas être tout le temps ensemble. Donc, il faut savoir, je pense, faire avec la diversité des choses, des gens, des profils, des besoins. Et finalement, ce que je disais, c’est créer ce bon équilibre, cette fusion un peu entre les différents tempéraments pour que tous, individuellement, arrivent à s’aligner et à aller dans un seul sens, une même direction et avec un même objectif, l’objectif du collectif.
Ermanno : Bon, ça, je comprends. Mais tu ne réponds pas à ma question. Comment on sort son épingle du jeu, justement ? Comme tu dis, c’est peut-être un peu différent quand tu es à un poste comme le tien de gardienne parce que finalement, c’est un peu la partie la plus individuelle d’une équipe, d’un sport co. Mais toi, finalement, quelles ont été, un petit peu tes techniques, tes solutions pour sortir ton épingle du jeu, pour continuer à être repérée, pour continuer à avancer et on viendra justement sur la suite ?
Mathilde : Moi, j’ai été très vite sélectionnée en équipe de France. À 14 ans, j’étais en équipe de France moins de 18. À 15 ans, en équipe de France, moins de 21. Et à 16-17 ans, en équipe de France A. J’ai été très vite repérée parce que justement, j’étais en sport études donc j’avais pas mal progressé par rapport à ça. Je pense qu’il y a une question de tempérament forcément où il faut incarner un certain leadership, il faut avoir confiance en soi, il faut savoir s’affirmer. Après, il y a bien sûr des aspects techniques. Je pense que c’est tout. Autant l’aspect sportif, que l’aspect humain comme je le disais juste avant. C’est difficile. Tu dis, comment sortir son épingle du jeu ? C’est la concurrence. Comme dans tout sport, tu dois être meilleure qu’un tel. Tu peux être toi à ton meilleur niveau et être moins forte que l’autre et inversement. Des fois, tu peux être la meilleure alors que t’es nulle. Juste, moi, ce que j’ai appris au cours des années et ce qui m’apporte énormément, c’est que je pense que même s’il y a une relation de concurrence où tu dis, il faut sortir son épingle du jeu, et être la meilleure surtout dans un sport individuel ou dans un poste individuel comme le mien, en fait, il faut se concentrer sur soi. Ça ne sert à rien de se dire “je vais être meilleure que l’autre pour être devant”. Tu peux avoir conscience que l’autre est meilleure parce qu’elle fait mieux ça que toi et donc ça te donne des objectifs de travail mais il faut surtout travailler sur toi et de savoir se remettre en question. Je pense que c’est un truc que j’avais du mal à faire avant, encaisser les reproches, les remarques un peu alors que c’est des trucs qui peuvent te faire évoluer et juste savoir te remettre en question et te dire “là, je n’ai pas été bonne, pourquoi ?” “Qu’est-ce que je mets en place ?” “Ok, j’y vais” et je pense que c’est la meilleure des clés pour justement progresser et donc sortir son épingle du jeu et terminer en étant à sa place.
Ermanno : Bon, on va revenir un petit peu tout à l’heure sur ton comportement. Tu nous disais en introduction que tu es une sportive engagée. Ça se sent bien dans la façon dont tu t’exprimes mais engagée au sens, j’ai envie de dire, noble du terme. Justement, pas aller écraser la concurrence pour passer devant. C’est un peu là où je voulais t’emmener et je suis content d’avoir entendu ta réponse. Donc, 13 ans, non, 14 ans, tu intègres l’équipe de France. Comment est-ce qu’on se projette pour la suite ? Tu intègres l’équipe de France, ok, et puis, c’est quoi les next steps tout en essayant d’allier avec les études ? Est-ce qu’à 14 ans, tu te vois déjà au JO de Paris 2024 ?
Mathilde : C’est drôle parce que lors de mes cours …
Ermanno : Attention, j’ai bien dit “tu te vois aux JO”, pas “est-ce que tu rêve des JO de Paris 2024 ?”
Mathilde : Par rapport aux jeux, de manière générale, il y a eu une vraie évolution en termes d’approche de l’événement. Ce qui est drôle, c’est que je me revois lors de mes premières sélections. Je vois très bien la salle où on était. C’est impressionnant. Cette discussion m’avait marqué où notre coach en équipe de France nous avait présenté l’évolution de la Belgique parce que la Belgique, c’est un pays où le hockey est pas mal développé. Elles ont énormément évolué, surtout au niveau féminin. Au niveau masculin, c’est une des meilleures équipes du monde. en fait, il nous présentait l’évolution de la Belgique en disant que la Belgique était là il y a quelques années. Elles sont là maintenant. Donc, nous, on veut travailler sur la même tendance et donc, on veut faire évoluer. Et donc, il nous avait fait un programme. Franchement, avec mon souvenir, je pense qu’on était en 2013. Et en fait, il était là en train de faire Coupe d’Europe 2018, Coupe d’Europe 2021, Coupe du Monde 2021, JO Tokyo, JO Paris 2024, tous les jours. Et vraiment, il était là en train de nous dire “Regardez !”, moi, à l’époque, je rêvais d’aller en Coupe du Monde, donc en Coupe du Monde Junior. Et c’était la target un peu. Mais je me rappelle avoir dit « Les Jeux Olympiques, quand même, c’est un truc de fou. » Moi, typiquement, à l’époque, j’avais des posters de la gardienne de la Belgique qui avait fait les Jeux Olympiques dans ma chambre. C’était un truc de malade. Et donc, à l’époque, je n’y pensais pas. Je n’en rêvais même pas parce que pour moi, ce n’était pas du tout réaliste. Et progressivement, ça s’est dessiné. Quand tu fais une Coupe d’Europe, deux Coupes d’Europe, que tu es qualifié pour une Coupe du Monde, tu te dis « Ah ouais, je fais une Coupe du Monde, je fais une Coupe d’Europe, c’est cool. Ah ouais, Paris est candidat pour les Jeux. Ah ouais, donc on va être pays hôte. Ah ouais, c’est fou. Ah ouais, ce serait dingue qu’on soit qualifiées ». Ah bah, on va dire « Je rêve des Jeux». Donc au début, c’est la campagne « Je rêve des Jeux » parce que ce n’était pas encore sûr qu’ils allaient avoir les Jeux à Paris. Donc on était beaucoup dans « Je rêve des Jeux ». Et une fois que Paris a eu les Jeux, c’était « Objectif Paris 2024 ». Donc on va se qualifier. Puis on s’est qualifiées. Et donc oui, forcément, ça se construit. Au début, tu ne rêves pas tout de suite que tu es dans le stade olympique. Forcément, au début, tu es là, tu te dis « Waouh, ce sera les Jeux en France, trop bien. » Et après, tu t’intègres un peu au projet, quoi, de toi de manière indirecte. Mais ça a été un vrai cheminement. Et moi, à l’époque, quand j’avais 13 ans, si je voyais la Mathilde d’aujourd’hui, je me dirais « Waouh, c’est trop ouf ce qu’elle a fait. Elle a fait 8 Coupes d’Europe, Coupes du Monde. Elle prépare les Jeux olympiques, c’est dingue. » Et à l’époque, je pense que je n’ambitionnais pas de faire autant de choses.
Ermanno : On enregistre fin 2023. Vous êtes qualifiées pour les JO de Paris 2024. Qu’est-ce qui va se passer dans les prochains mois ?
Mathilde : Les prochains mois, ça va être tellement intense. Déjà, ça l’est. En termes d’entraînement, d’intensité, on se retrouve toutes les semaines avec l’équipe de France. Deux à trois jours, on s’entraîne énormément. Et on est vraiment en train de créer une émulsion autour de ce projet. Là, on est dedans, on y va, on sait qu’on y va toutes. Après, forcément, toutes ne seront pas sélectionnées, mais on est toutes tellement investies dans le projet que c’est hyper agréable de voir ça. Il y a quelques années, on en était à faire des remarques sur qui n’a pas fait son programme physique cette semaine. Et là, on est toutes à en chier ensemble. On a toutes mis nos vies entre parenthèses, nos vies de côté pour préparer les JO qui est un événement incroyable. Donc, on sait que ça va être dix mois hyper intenses, dix mois hyper durs, dix mois émotionnellement, forcément, qui vont nous apporter énormément de choses. Maintenant, c’est incroyable. Et forcément, la target, c’est Paris. Mais aujourd’hui, le chemin est incroyable. Je veux dire, le voyage fait aussi partie de l’objectif et c’est ça qui est hyper bien.
Ermanno : Souviens-toi, l’objectif, ce n’est pas la destination, c’est le voyage.
Mathilde : Oui, tout à fait.
Ermanno : Tu parles d’émotion. Est-ce que justement, quand on fait partie d’une équipe, d’un sport collectif, les émotions, elles sont aussi intenses que quand on se qualifie dans un sport individuel ? Alors, ce n’est peut-être pas quelque chose auquel tu sauras répondre. Tu ne t’es évidemment pas qualifié dans un sport individuel. Mais est-ce que de votre côté, ce que tu ressens, toi, en termes d’émotions, c’est quelque chose… Attends, je vais reformuler. Est-ce qu’il n’y a pas des jours où tu dis, “en fait, on s’éclate, c’est cool, mais si on gagne, on gagne ensemble. Si on perd, on perd ensemble”. Et du coup, est-ce que vous arrivez à exacerber ces émotions ?
Mathilde : Je pense que ça décuple davantage. Je pense que… Bon, alors clairement, quand tu as le contrôle sur toi-même, quand tu es en sport individuel, c’est-à-dire que tu as des défaites, tu les associes à tes performances, tu as des réussites, tu les associes à tes performances. L’avantage dans un sport collectif, c’est que tu peux ne pas être bon et tu peux te faire tirer par les autres. Donc, tu peux gagner même sans avoir performé individuellement. Et de manière inverse, tu peux individuellement faire perdre un collectif, ce qui est très compliqué aussi. Donc, je dirais que l’intensité et le degré est décuplé. Donc, en effet, quand tu gagnes en collectif, c’est trois fois plus intense que quand tu gagnes tout seul. Je pense. Même si je n’ai pas gagné toute seule beaucoup de fois dans ma vie, du moins sur des gros trucs sportifs. Mais je pense qu’également, si tu perds individuellement, c’est dur. Et je pense que si tu perds collectivement, surtout quand c’est ta faute individuellement et que tu fais perdre ton collectif, comme ça peut être le cas pour une performance de gardien, c’est d’autant plus dur.
Ermanno : Ouais, mais on va dire que les gardiens, vous pouvez toujours dire que c’est la défense qui a merdé. Non, ça ne marche pas, ça ?
Mathilde : Non, non, non. Il y a des petits ponts, il y a des balles de merde, il y a des trucs techniquement où, ben non, tu ne peux pas…
Ermanno : Non, j’essayais de te trouver des excuses, tu vois.
Mathilde : On peut trouver des excuses. Après, on peut aussi réfléchir autrement et se dire que tout est arrêtable et que la défense arrête, mais que toi, ton taf, c’est d’arrêter la balle quand même. Typiquement, ce week-end, nous, on a gagné 3-2 en club, tu vois. Les deux buts que je prends, c’est des déviations. Donc théoriquement, je pourrais me dire, ben en fait, c’est les filles qui ne sont pas prises au marquage, donc c’est le problème de la défense. Sauf que ben non, certes, ce n’est pas vraiment ma première responsabilité, mais j’aurais peut-être pu arrêter les balles autrement.
Ermanno : Tu nous disais tout à l’heure que vous créez un collectif, vous créez une émulsion, vous vous entraînez beaucoup toutes ensemble en équipe de France. Malgré tout, toutes ne seront peut-être pas sélectionnées, appelées. Là, vous êtes combien actuellement dans le groupe à vous entraîner toutes ensemble ?
Mathilde : Je crois qu’on est un groupe de 24 exactement.
Ermanno : Et il n’y en a que 16 qui iront aux jeux, donc c’est 8 titulaires et 8 remplaçants. Comment ça s’appelle ? Comment ça fonctionne ?
Mathilde : Non, les 16 seront titulaires. En fait, sur les 16, il y aura donc un gardien et 15 joueuses. Les rotations se feront quand le coach souhaite pendant le match. Ça, il y a ces relatations, donc échange de joueurs en illimité. Et après, tu auras deux réservistes, mais qui seront là, qui pourront rentrer seulement sur blessure. Et un gardien réserviste qui ont un rôle un peu particulier parce que pareil, il peut rentrer que si le gardien titulaire se blesse.
Ermanno : Ce qui est relativement rare en général.
Mathilde : Donc en gros, c’est 16 plus 3, donc 19 sur les 24 qui partent. Dans le groupe actuellement, on est 4 gardiennes. Donc il y en a une qui ne fera pas les jeux, une qui sera réserviste au jeu et une qui sera titulaire.
Ermanno : On croise les doigts pour que ce soit toi la titulaire, évidemment.
Mathilde : Bien sûr.
Ermanno : Tout ça, ça représente des moyens parce qu’entraîner, encadrer 25 personnes plus tout le staff qui gravite autour, ça représente des moyens. Donc il y a les moyens collectifs pour le groupe, pour le collectif justement. Il y a aussi les moyens en individuel. Toi, à l’heure actuelle, comment est-ce que tu vis de ta passion, de ton sport ?
Mathilde : Eh bien malheureusement, je n’en vis pas. Tout simplement, c’est une réalité. Je vis du hockey aujourd’hui grâce à mon club. C’est-à-dire que mon club, je gagne moins d’un SMIC, je gagne 700 euros par mois avec mon club en Espagne. Et en équipe de France, je ne gagne pas du tout d’argent. On n’est pas rémunérées, on n’est pas payé. La fédération, c’est une petite association. Et malheureusement, ils n’ont pas les ressources pour nous payer. Donc en tant que joueuses et joueurs de l’équipe de France, on n’est pas rémunérés. On a des aides ministérielles, c’est des aides sociales que l’État donne à la fédération, qui ensuite nous sont réparties à nous, les joueuses et joueurs, en fonction de nos statuts socio-professionnels, c’est-à-dire si nos parents nous aident, combien on gagne si on travaille, etc. Ces aides, elles sont entre 0, parce qu’il y a des filles qui ont 0, et 300 euros par mois à peu près. Voilà. Donc moi, j’ai à peu près 300 euros par mois d’aides sociales. Donc c’est ça. Donc en gros, j’ai 1 000 euros pour vivre avec le hockey aujourd’hui …
Ermanno : Ce qui est un peu chaud quand tu déduis toutes tes charges, ton loyer, voilà.
Mathilde : Donc jusqu’à présent, moi, avant les Jeux, enfin avant de préparer les Jeux, je travaillais. Et là, j’ai arrêté de travailler pour du coup me consacrer à 100 % aux Jeux. J’ai fait un crédit étudiant en attendant de trouver des partenaires. Et après, j’ai trouvé des partenaires, là récemment, qui du coup me permettent de pouvoir préparer l’année olympique sereinement. Mais c’est des partenaires qui vont être là que un an. Donc ça… Ça rend pas le modèle périn pour la suite, quoi, malheureusement.
Ermanno : Donc t’as trouvé des partenaires qui te permettent d’acheter les épinards, mais pas de mettre du beurre, c’est ça ?
Mathilde : Si, si, là, maintenant, je peux mettre du beurre. Du coup, c’est bon. Si, si, pour l’année olympique, je vais pouvoir mettre du beurre. Mais en fait, le plus compliqué, c’est la projection. Tu vois, c’est ce que je disais. C’est-à-dire que le modèle déjà en lui-même, il est pas fiable dans le sens où on n’en vit pas aujourd’hui. On a toutes mis nos vies entre parenthèses. C’est les Jeux olympiques, donc c’est incroyable. Mais si on veut que l’équipe de France de hockey progresse, qu’on continue de montrer qu’on ait notre place dans les meilleures équipes mondiales… On est quand même passé récemment dans la 32e place mondiale. Aujourd’hui, un top 20 mondial. Et on prétend faire un top 15, voire un top 10 mondial sur les prochaines années. Il va falloir que le modèle économique change. On peut pas rester sans vivre de notre sport alors que ça nous prend tout notre quotidien. C’est impossible, malheureusement. Moi, tu vois, j’ai bientôt 27 ans. Je commence à me dire que j’ai aussi envie de créer une vie de famille, d’avoir une stabilité, de… de pouvoir vraiment être dans une situation confortable. Et en fait, aujourd’hui, je peux pas vivre de mon sport, donc c’est pas… c’est pas confortable, quoi. Alors que… toutes les Joueuses internationales que je côtoie dans mes clubs, etc., qui, elles, sont dans des sélections espagnoles, italiennes, argentines, belges même, eh ben, toutes sont payées en équipe nationale. Et en club. Et donc, en fait, les deux combinés font qu’elles arrivent à en vivre. Parce que quand tu gagnes 700 euros en club, 700 euros en équipe nationale, bah voilà, t’as plus d’un sic, c’est très correct. Aujourd’hui, vivre avec 1000 euros par mois, c’est pas possible … enfin c’est très, très compliqué. Donc, on a toute la chance d’être épaulés dans l’équipe de France. On a nos parents, on a nos… nos +1. On a… Voilà. On a la chance de pouvoir bien s’entourer, mais c’est provisoire, entre guillemets, quoi. Malheureusement, et… Donc, j’espère que le modèle changera après les Jeux, parce que là, le partenaire que j’ai trouvé… Donc, j’ai trouvé un gros partenaire, et après, des petites entreprises qui m’aident. Ben, c’est cool, parce que ça m’aide sur un an, et pour préparer les Jeux sereinement, mais moi, j’ai envie de continuer ma carrière après, sauf que malheureusement, avec ce modèle économique, c’est pas possible aujourd’hui, quoi. On verra comment ça évoluera.
Ermanno : Alors, tu peux les citer, hein, si tu veux leur rendre hommage. On n’est pas sur la radio, donc…
Mathilde : Ben, après, les petites entreprises, elles ont pas… Elles ont pas demandé à être citées, et c’est des petits dons comme ça, etc. Mais le gros partenaire que j’ai, c’est une entreprise dans le sport qui s’appelle AmazeDM ( https://amazedm.com ), et c’est une entreprise qui s’occupe de tout ce qui est logistique pour les clubs, les institutions sportives, pour, par exemple, les réservations d’hôtels, les déplacements, les cars… Ils travaillent en particulier aujourd’hui avec le foot, mais ils s’ouvrent aussi à beaucoup plus de disciplines, et par exemple, ils travaillent avec des clubs qui font la Ligue des champions, pour justement leur réserver les hôtels, organiser leurs déplacements lors de la Champions League ou d’autres tournois. Donc, c’est un prestataire rattaché au monde du sport, ils sont hyper investis dans plein de valeurs que je partage avec eux, donc c’est top.
Ermanno : On comprend effectivement que c’est un peu difficile de s’en sortir. Ça, c’est un partenaire individuel que toi, tu as trouvé, en plus des éventuels partenaires collectifs du groupe France ou de ton club ?
Mathilde : Oui, tout à fait, c’est un partenaire individuel. On n’a pas de partenaire collectif. Les partenaires collectifs, c’est la fédération qui les a. Donc, en fait, l’argent revient à la fédération, qui ensuite permet d’organiser des stages, etc. Et en termes de partenaire collectif, on n’a pas de partenaire, nous, avec l’équipe de France féminine.
Ermanno : Partenaire individuel. Ca, ça fait partie de tes chevaux de bataille, c’est un des axes de ta facette de sportive engagée. Tu nous disais effectivement en intro que tu te définirais comme une personne, une sportive engagée. Il y a d’autres sujets sur lesquels tu te bats, sur lesquels tu veux mettre certains points noirs en lumière ?
Mathilde : Oui, je suis engagée sur pas mal de sujets, et il y a énormément de sujets qui me tiennent à cœur. Il est clair que la situation de manière générale du sport et des sportifs aujourd’hui, c’est quelque chose que j’essaie de défendre un maximum pour rendre le sport féminin plus professionnel, avec plus de revenus, en dénonçant, du coup, les inégalités forcément. Je suis pas mal engagée au niveau de ma fédération. Je fais partie d’un groupe de lutte contre les violences et les discriminations aussi. En termes de… Enfin, après, pour moi, tout est intimement lié, mais pour moi, à partir du moment où tu fais du sport, tu t’associes aux valeurs du sport et t’intègres des valeurs, et tu dois porter ces valeurs. Pour moi, aujourd’hui, être un athlète, c’est pas juste être sur un terrain, c’est savoir parler et prendre la parole justement pour inspirer les jeunes, pour inspirer les entreprises, etc. Donc, j’essaie de dénoncer tout ça, de mettre en avant les difficultés aujourd’hui que rencontrent les athlètes pour justement faire évoluer les choses. Typiquement, aussi, la reconversion. Aujourd’hui, il y a quelque chose, un sujet hyper compliqué, assez tabou, assez peu évoqué, alors que c’est un vrai tournant dans une carrière de sportif, et qu’aujourd’hui, les sportifs, ils ont du mal à trouver des entreprises pour les accompagner sur leur fin de carrière. Il y a très peu d’entreprises aussi qui reconnaissent les compétences qu’on développe au sein du sport, alors qu’il y en a énormément, et que ça peut énormément apporter à une entreprise. Donc ça, c’est quelque chose que je développe aussi énormément. Et après, sur tout ce que je le disais, forcément, valeurs du sport, donc je fais partie du comité des sportifs de l’AFLD, l’Association Française de Lutte contre le Dopage, pour justement lutter et militer pour un sport propre et une équité dans le sport. Donc voilà, c’est plein de petites casquettes, plein de petits combats que je mène au quotidien, qui pour moi sont hyper importants, et qui font l’éducation de manière générale des jeunes qui font du sport, la sensibilisation auprès des entreprises, auprès aussi des instances et des gouvernances du sport, pour justement faire évoluer le sport de manière générale.
Ermanno : On l’aura compris, engagées jusqu’au bout des ongles, et puis tout ça, ça demande du temps, ça demande de l’implication, et effectivement si on pouvait essayer, en plus de minimiser l’aspect charge mentale lié à “est-ce que je vais mettre du beurre dans mes épinards à la fin du mois ?”, ça pourrait aider. Donc on le rappelle, c’est aussi l’une des démarches dans laquelle s’est lancé le podcast “(dans les) vestiaires”, donc si vous voulez en savoir plus et soutenir Mathilde, direction https://vestiaire.org/mathilde , comme ça vous pourrez en savoir plus et la soutenir. Tu parlais de reconversion, je te demandais tout à l’heure si à 13 ans tu te voyais, tu te projetais aux Jeux Olympiques de Paris 2024, tout à l’heure tu me disais que le modèle économique du hockey féminin en France est pas viable, et que malgré tout, toi tu aimerais continuer dans ce sport, tu aimerais continuer à évoluer, mais ça pose aussi la question de la reconversion. Toi tu te vois où, comment, dans quelques années, tu la vois, tu l’imagines comment ta reconversion ?
Mathilde : C’est très compliqué pour moi d’imaginer une reconversion aujourd’hui, il y a énormément de sujets qui m’intéressent, je pense que j’ai sincèrement envie de rester active dans le monde du sport, là je suis en train de créer un cabinet de conseils et d’accompagner des sportifs justement dans la reconversion avec un ancien basketteur professionnel, où l’idée c’est d’accompagner les entreprises avec leur politique de développement du sport, l’intégration des sportifs de haut niveau dans leurs équipes, et du coup accompagner les sportifs dans leur reconversion, donc ça c’est quelque chose qui me tient particulièrement à cœur, et je me verrais bien bosser là-dedans. J’avoue que j’ai aussi des projets plus entrepreneuriaux liés au sport, aux compétences que j’ai pu développer dans le monde du sport, et aussi en lien avec ma casquette de psychomotricienne, donc ce métier paramédical que j’ai fait, associé au bien-être en entreprise. La psychomote, ça nous apporte énormément d’outils en termes de création de jeux, de formation, en termes d’accompagnement sur l’humain, et je me verrais bien créer un concept innovant d’intervention d’entreprise de sportifs associant des escape games et des conférences. Il y a pas mal de choses qui me plairaient, je pense que ce que je sais, c’est que j’ai envie de transmettre, d’accompagner, et d’être toujours en lien avec le monde du sport et ses valeurs. Après on verra comment ça se construira, je t’avoue que pour l’instant c’est 100% focus pour les jeux, mais voilà, j’ai pas mal d’idées dans la tête, pas mal de gens aussi qui sont prêts à m’accompagner dans cette après carrière, donc je pense que je finirai par trouver ma voie. A voir comment je construis tout ça.
Ermanno : On te souhaite bon courage, déjà pour la petite fête de campagne de cet été à Paris, ce qu’on appelle les Jeux Olympiques, forcément vous allez tout défoncer, et puis on va suivre ça de près. On te souhaite aussi bon courage pour, dans quelques années, le plus tard possible, ta reconversion, et puis on suivra tout ça avec attention. Est-ce qu’on a fait le tour, ou est-ce qu’il y avait d’autres messages que tu voulais passer ?
Mathilde : Non, on a fait le tour, très contente d’avoir pu échanger avec toi et de partager les coulisses et l’intérieur du vestiaire de ce poste de gardien, qui est un poste très particulier et du monde du hockey de manière générale. Merci de tes questions, de ton temps, et très heureuse d’avoir échangé avec toi.
Ermanno : C’est un plaisir partagé. On a réussi à tenir jusqu’au bout de l’interview. Je n’y croyais pas. J’ai encore deux petites questions pour toi. La première qui sera peut-être déroutante, mais en soit assez simple. S’il y avait la petite Mathilde, justement, de 13 ans, dont tu nous en parlais tout à l’heure, qui venait te voir, et au-delà d’avoir des paillettes dans les yeux et d’être impressionnée, si elle te disait, “moi, plus tard, je vais aller aux Jeux Olympiques, comment on fait ?” ?
Mathilde : Je lui dirais qu’elle est capable de tout, qu’il faut qu’elle s’accroche, et qu’elle donne le meilleur d’elle-même chaque jour pour sortir sans regret de tout ce qu’elle fait et prendre plaisir.
Ermanno : Et puis la dernière question, c’est simplement pour savoir où est-ce qu’on peut te suivre, où est-ce qu’on peut rentrer en contact avec toi, suivre tes aventures, et éventuellement t’encourager pour aller jusqu’aux Jeux Olympiques ?
Mathilde : Oui, bien sûr, vous pouvez me suivre sur les différents réseaux sociaux. Je suis pas mal active sur LinkedIn en particulier, également Instagram. Et si vous voulez suivre l’intérieur de ma carrière avec des moments exclusifs et me sponsoriser de toute manière, vous pouvez également me sponsoriser sur https://obaine.fr , une plateforme qui accompagne les sportifs et qui permet de les sponsoriser.
Ermanno : Et bien voilà, la boucle est bouclée. On a eu l’occasion d’échanger avec les gars d’Obaine qui sont super sympas, qui ont pu aussi nous mettre en relation, et effectivement, c’est un projet à suivre. Mathilde, merci encore, on te souhaite une bonne journée, un bon entraînement, parce que là, je comprends que tu t’en vas, tu enlèves le hoodie et tu vas t’entraîner, donc bonne journée, amuse-toi bien, et on reste en contact.
Mathilde : Au revoir. Ciao.